LES PAS-FRANCS-MACONS DE LA LOGE ATHANOR
Enquête sur une affaire criminelle hors normes où se mêlent faux
espions, anciens policiers, mercenaires et politiques.
La tentative d’assassinat ratée d’une formatrice en coaching à Créteil
en juillet 2020 et l’arrestation d’un commando appartenant à la
direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) a entraîné la
découverte de multiples projets d’exécution.
Une affaire hors normes, mais banal pour les frères en France.
La police a mis au jour une organisation criminelle dont les
principaux membres appartenaient à une loge maçonnique. Ils sont
soupçonnés d’avoir commandité des agressions, voire des meurtres, en
ayant recours à des mercenaires et des plantons de la DGSE qui
pensaient remplir des missions pour le compte de l’État.
Deux hommes armés arrêtés au petit matin dans un quartier résidentiel
de Créteil... Lorsqu’ils ont hérité de l’affaire au creux de l’été
2020, les enquêteurs de la brigade criminelle de la police judiciaire
parisienne ne s’attendaient certainement pas à ouvrir une boîte de
Pandore. À tomber sur le corps d’un champion automobile enterré dans
une forêt de Haute-Loire. À ressortir les photos d’un élu francilien
au visage tuméfié. À découvrir que la vie d’un syndicaliste de
province ne tenait qu’à un fil.
Ils ignoraient sans doute aussi qu'ils auraient à investir des lieux
aussi secrets que sensibles. Une base du service action de la DGSE
près d’Orléans, et une loge maçonnique des Hauts-de-Seine dans
lesquelles plusieurs projets sanglants semblent avoir été orchestrés.
À ce stade des investigations, douze personnes sont mises en examen.
Si toutes restent présumées innocentes, une majorité d’entre elles a
livré aux enquêteurs des récits glaçants.
Une "sanglante" bataille politique
L’affaire débute par une querelle politique qui, en 2013, il faut bien
l’avouer, ne passionne guère que les militants Union pour un mouvement
populaire (UMP) du Val-de-Marne. Les municipales approchent. Le maire
de Saint-Maur-des-Fossés, Henri Plagnol, est candidat à sa réélection.
Cet ancien secrétaire d’État de Jacques Chirac, qui a flirté jadis
avec le contre-espionnage français, doit faire face à un opposant issu
de sa propre famille politique. Le dissident, Sylvain Berrios, accuse
le maire sortant d’avoir cautionné un système de fausses factures au
profit d’Idéepole, une filiale de la désormais célèbre société
Bygmalion.
Lorsqu’ils font campagne sur les marchés de la ville comme sur les
réseaux sociaux, les soutiens de Sylvain Berrios s’en prennent aussi à
une nouvelle figure de la politique locale, Stéphanie Chupin.
Directrice de cabinet d’Henri Plagnol à la mairie, elle a été élue
conseillère régionale en 2011. Le compagnon de Stéphanie Chupin,
Frédéric Vaglio, aurait alors suggéré de mener une mission discrète de
renseignement et de surveillance visant le candidat dissident. La
société de sécurité et d’intelligence économique de Vaglio, Meliora
(dont Stéphanie Chupin était devenue début 2016 l’actionnaire
majoritaire), propose ce type de prestations. Interrogé par la police
le 28 janvier 2021, Frédéric Vaglio explique que Berrios aurait ainsi
été suivi pendant quelque temps. "C’est la ville de Saint-Maur qui a
payé", précise-t-il sur procès-verbal. Montant de la facture : dans
les 10 000 euros. "On avait fait passer ça pour un audit de sécurité."
Sylvain Berrios, actuel maire de Saint-Maur-des-Fossées, aurait fait
l’objet d’un "contrat", jamais exécuté. (NICOLAS DEWIT / RADIO FRANCE)
Sylvain Berrios, actuel maire de Saint-Maur-des-Fossées, aurait fait
l’objet d’un "contrat", jamais exécuté. (NICOLAS DEWIT / RADIO FRANCE)
Par la voix de son avocat, Henri Plagnol dément formellement avoir "ne
serait-ce qu’envisagé de faire surveiller l’un de ses adversaires aux
élections municipales de 2014. Après sa défaite, explique maître
Michaël Doulikian à la cellule investigation de Radio France, mon
client s’est définitivement retiré de la vie politique et est
parfaitement étranger aux agressions qui auraient pu être commises ou
envisagées à l’encontre de membres de la nouvelle équipe." L’ancien
secrétaire d’État n’aurait par ailleurs jamais entendu parler du
contrat de la société Meliora.
"De la chaise roulante au cercueil"
Mais ce n’est pas une possible affaire de fausses factures qui
intéresse ici la justice. Frédéric Vaglio est aujourd’hui soupçonné
d’être le maillon central d’un dossier criminel tentaculaire. Âgé de
50 ans, l’homme semble avoir eu mille vies. Un temps journaliste au
Dauphiné libéré, il devient le communicant de grandes entreprises en
région parisienne, puis crée des sociétés de sécurité en France et en
Suisse. Amateur de sensations fortes et de grosses cylindrées, Vaglio
fait aussi dans l’événementiel de "prestige", proposant à des clients
argentés des week-ends chargés d’adrénaline sur les bords du lac
d’Annecy.
L’homme nourrit une passion pour les armes. Un témoin prétend qu’il
tirait "à la kalash" dans sa propriété des Yvelines. Il faut dire que
dans le carnet d’adresses de Vaglio, on trouve des anciens membres des
forces spéciales reconvertis dans la sécurité privée. Et des flics à
la retraite, parmi lesquels Daniel Beaulieu, à qui l’ancien
communicant semble avoir confié ses missions les plus "délicates".
Meurtri par les rumeurs lancées sur sa compagne à la ville de
Saint-Maur, Vaglio demande à Beaulieu s’il ne peut pas faire autre
chose que d'effectuer une simple surveillance de Sylvain Berrios,
devenu député-maire. "J’ai demandé à Daniel si les choses pouvaient
aller plus loin, raconte-t-il en garde à vue avec une apparente
légèreté qui déconcerte. J’entendais par là : 'Est-il possible que
Berrios ait un accident ?' Daniel a dit 'oui', il a expliqué que ça
pouvait aller de la chaise roulante au cercueil. Dans tous les cas,
j’étais d’accord." Le contrat ne sera jamais exécuté. Sylvain Berrios
en ignorait jusqu’à peu l’existence.
En 2016, alors qu’ils ont quitté la mairie, Stéphanie Chupin et son
mentor en politique, Henri Plagnol, continuent à faire l’objet de
critiques sur leur gestion passée de la mairie. Jean-François Le
Helloco, élu UMP au conseil départemental du Val-de-Marne, poste sur
Facebook des articles liés notamment à la "petite affaire Bygmalion"
qui a secoué Saint-Maur. Le 10 octobre à 8 h 40, il s’apprête à
quitter son pavillon qui donne sur la rivière lorsque surgissent deux
hommes encagoulés. L’élu UMP est roué de coups de poing et de coups de
pied. "Je leur ai demandé ce qu’ils voulaient, raconte l’élu dans la
plainte déposée au commissariat ce jour-là. Ils m’ont dit : 'Il faut
que tu arrêtes, t’as compris ? Tu arrêtes, c’est un avertissement !'"
Jean-François Le Helloco est sommé de ne pas bouger, le temps que ses
agresseurs prennent un cliché de son visage ensanglanté.
En garde à vue, Vaglio reconnaît être à l’origine de cette violente
mise en garde. "J’ai clairement demandé à Daniel Beaulieu à ce qu’on
lui casse la gueule." Il explique que quelques jours plus tard,
l’ancien policier est venu rendre visite à son ami et sa compagne
Stéphanie Chupin. "Daniel nous a montré une photo sur son téléphone.
On voyait Le Helloco par terre, un œil au beurre noir, il était
tuméfié au niveau du visage. Daniel m’a quitté en me disant :
'J’espère que ça te soulagera.'"
Jean-François Le Helloco, ancien élu UMP au conseil départemental du
Val-de-Marne, a été violemment agressé en 2016. (NICOLAS DEWIT /
RADIO FRANCE)
Jean-François Le Helloco, ancien élu UMP au conseil départemental du
Val-de-Marne, a été violemment agressé en 2016. (NICOLAS DEWIT /
RADIO FRANCE)
Les francs-maçons de la loge Athanor
Dans cette affaire criminelle, "Vaglio est un peu le commercial et
Beaulieu l’opérationnel", commente un avocat de la partie civile. L’un
apporte les affaires, l’autre monte les opérations, lors de
rendez-vous discrets. Daniel Beaulieu a passé presque toute sa
carrière de policier dans les renseignements généraux (RG). Lorsque
fin 2009 sonne l’heure de la retraite, il quitte son poste de chef
adjoint de division à la DCRI (Direction centrale du renseignement
intérieur, devenue DGSI) et continue sa route, dans le privé. Il crée
sa société.
Ses anciens collègues de Levallois ne sont jamais loin. Comme Luc, un
ancien officier du renseignement intérieur qui lui dispense des cours
de magie. Mais Beaulieu est déjà un expert en dissimulation. Les
enquêteurs ont découvert qu’il avait mené pendant des années une
double vie, avec deux compagnes et deux maisons. Cependant, l’argent
manque et les missions ne sont pas si nombreuses. Beaulieu tente de
faire des affaires en Afrique. Il a même créé une filiale de son
entreprise au Congo.
Aux enquêteurs, Vaglio raconte qu’il a rencontré Beaulieu "il y a 7 ou
8 ans, chez les frangins". Comprenez : chez les francs-maçons. Tous
les deux sont membres de la loge Athanor² , dans les Hauts-de-Seine.
Athanor dépend de la Grande loge de l’Alliance maçonnique française
(GL-AMF). Exclusivement réservée aux hommes, on y suit le "rite
écossais ancien et accepté". C’est aussi par le biais de la
franc-maçonnerie que Daniel Beaulieu maintient des contacts avec des
hauts gradés de la police ou des agents actifs de la DGSE. Notamment
F.P., basé au Kosovo, à qui il aurait transmis régulièrement des
informations sensibles.
La loge maçonnique Athanor, dans les Hauts-de-Seine, a été fermée
provisoirement lorsque l’affaire impliquant plusieurs de ses membres a
éclaté dans la presse. (NICOLAS DEWIT / RADIO FRANCE)
Abattu dans son parking
Mais c’est sur un terrain très éloigné des valeurs de la
franc-maçonnerie ou de la police républicaine, que le duo
Vaglio-Beaulieu se serait associé. Derrière la vitrine de leurs
missions de surveillance et d’intelligence économique se seraient
organisés plusieurs contrats d’exécution, pour quelques milliers
d’euros à la clé.
Étant donné qu’en garde à vue l’ancien flic des RG est plutôt loquace,
un enquêteur de la PJ lui demande sans détour si plusieurs projets
d’assassinat lui ont été confiés. "Le nombre total, ça se compte sur
les doigts d’une main, répond-il spontanément. Et un seul assassinat a
abouti." Les policiers restent médusés. Daniel Beaulieu se met à
table. "La première proposition d’assassinat que me faisait Frédéric
Vaglio, ça se passait dans le milieu de l’automobile. Il y avait une
histoire de dettes."
Le crime était presque parfait. Laurent Pasquali, pilote automobile,
ancien champion de France de rallye, disparaît sans laisser de traces
en novembre 2018. "On s’inquiète, personne n’a de nouvelles, nous
raconte son ami et copilote Anthony Beltoise. Il venait de perdre son
père. Je me suis dit qu’il avait fait un burn-out et qu’il était
peut-être parti en vacances. Je l’imaginais au Brésil, à Copacabana…"
La réalité est bien plus sombre.
Pour financer ses saisons de course très onéreuses, Laurent Pasquali
se serait fait "sponsoriser" par un couple de médecins passionné
d’automobile. Mais, à partir de 2016, n’y trouvant pas son compte,
celui-ci aurait voulu récupérer son argent. Le couple s’en ouvre alors
à son ami, Frédéric Vaglio, qui s’engage à l’aider. Beaulieu est
chargé de localiser le pilote endetté, et pour cela il actionne un
jeune agent de protection, Sébastien Leroy. Un soir, après des mois de
surveillance, Leroy et l’un de ses présumés complices auraient attendu
Pasquali dans le parking de sa résidence sécurisée de
Levallois-Perret.
Le crime était presque parfait
Le pilote devait-il être exécuté ou les choses ont-elles dérapé ? En
garde à vue, Vaglio livre sa version des faits : "Daniel m’a dit : 'Il
y a juste un problème, ils ont buté le mec. Ils sont rentrés dans le
garage, ils l’ont suivi et puis "boum", ils lui ont tiré dessus.' Je
lui ai dit : 'Ça va pas, c’est quoi ce truc ?'. Il m’a dit : 'Ben ça
arrive.'" Les policiers poursuivent l’interrogatoire : où est le corps
du champion de rallye ? Vaglio ne le sait pas précisément. Mais Daniel
Beaulieu lui aurait montré une photo. "J’en ai déduit qu’ils l’avaient
emmené dans une forêt. L’individu avait un sac poubelle ou plastique
sur la tête, il était en chien de fusil, dans un trou. Je dirais que
le trou faisait un mètre de profondeur."
Laurent Pasquali, pilote automobile, ancien champion de France de
rallye a été assassiné en 2018. (NICOLAS DEWIT / RADIO FRANCE)
Laurent Pasquali, pilote automobile, ancien champion de France de
rallye a été assassiné en 2018. (NICOLAS DEWIT / RADIO FRANCE)
Le crâne et les ossements de Laurent Pasquali ont effectivement été
découverts par hasard, dix mois après sa disparition, par un cueilleur
de champignons, dans un bois de Cistrières, en Haute-Loire. Interrogé
par les juges d’instruction le 2 mars 2021, Sébastien Leroy a réfuté
la thèse d’une mise au point qui aurait mal tourné. "Le but était
qu’on ne retrouve pas le corps. On m’a dit : 'Pas de preuve, pas de
corps, pas d’enquête.' Ça devait passer pour une disparition."
Frédéric Vaglio, lui, prétend qu’il n’a jamais donné d’ordre
d’exécution. Mais il reconnaît qu’il a été payé pour cette mission par
son couple d’amis. 12 000 euros, alors qu’il en aurait demandé 20 000.
La fable de la source et de l’officier traitant
Le profil de l’"homme de main", Sébastien Leroy, intéresse grandement
les enquêteurs. Il rêvait d’être gardien de la paix mais a échoué au
concours. Ce trentenaire, amateur d’arts martiaux à la silhouette
plutôt frêle, s’oriente donc vers la sécurité privée et la protection
rapprochée. Il a un ami à la DCRI qui veut le mettre en contact avec
un "gars du service".
C’est ainsi qu’il rencontre Daniel Beaulieu près de l’École militaire
à Paris. Leroy est sous le charme. À ce moment-là, assure-t-il aux
juges lors d’un interrogatoire le 2 mars 2021, il ignore que son
interlocuteur n’est plus un espion en activité. Beaulieu lui aurait
proposé de devenir une source, un "indic", des services secrets. La
proposition est alléchante. "Daniel" lui servirait d’officier
traitant. Leroy accepte. "Ma première mission au nom du renseignement
intérieur était d’accompagner un gouverneur cambodgien en visite en
France", raconte-t-il aux magistrats. Puis il y a eu un opposant au
régime congolais qu’il devait surveiller au nord de Paris. Cet homme,
le général Mbaou, fera l’objet quelque temps plus tard d’une tentative
d’assassinat.
Vient ensuite l’agression de l’élu du Val-de-Marne, Jean-François Le
Helloco : "Une opération hors cadre ultra-secrète", selon Sébastien
Leroy qui faisait partie du commando. Dans le journal de bord qu’il
tient, et que les enquêteurs ont saisi en perquisition, il évoque
d’autres missions violentes. "Je sens que je suis fait pour ça, y
écrit-il. C’est étrange cette sensation que de gagner de l’argent pour
défoncer quelqu’un."
"Ma première mission homo"
Et le meurtre du pilote automobile ? Il reconnait y avoir participé,
mais ce n’est pas lui qui a tiré, jure-t-il en audition. "Monsieur
Pasquali, ça a été ma première mission homo" [pour "homicide", terme
utilisé par les services secrets agissant à l’étranger dans le cadre
d’élimination de "cibles"]. Daniel m’a dit que cet homme était une
menace pour l’État et tout particulièrement pour le milieu corse",
raconte-t-il. En réalité, Laurent Pasquali n’était même pas corse… Des
missions, Sébastien Leroy en aurait eu à la pelle. Les rendez-vous
avec Daniel Beaulieu se font dans un bistrot près de la gare de Lyon.
Pour chaque contrat, c’est devenu un rituel. À tel point d’ailleurs
que Leroy donne à son officier traitant le pseudo de "petit café".
Daniel Beaulieu a-t-il réellement manipulé Sébastien Leroy au point de
lui laisser penser qu’il pouvait tuer au nom de la raison d’État ? Au
sujet de l’une des affaires de tentative de meurtre dans laquelle il
est mis en cause, Daniel Beaulieu reconnaît sur procès-verbal avoir
entretenu l’ambiguïté. "Je sais que Sébastien est un peu borderline,
il peut faire des trucs. Pour le motiver, j’ai laissé supposer qu’il
s’agissait d’un contrat d'État."
"Borderline", naïf, influençable ? Selon plusieurs protagonistes du
dossier, comme Yannick P. – également mis en examen dans cette affaire
judiciaire –, un policier affecté à la DGSI qui a mis sa carrière
entre parenthèses pour monter une société de sécurité informatique,
Sébastien Leroy avait surtout tendance à affabuler . Selon lui, il
disait à qui voulait l’entendre "qu’il était missionné par l’État
français au plus haut niveau, et que s’il y avait besoin d’une lettre
de l’Élysée, il n’y aurait pas de problème."
Les hommes arrêtés appartenant à la DGSE avaient en leur possession
des couteaux militaires et une arme de poing. (NICOLAS DEWIT /
RADIO FRANCE)
L’intermédiaire de la DGSI
Spécialiste en détection de faux papiers – il se présente lors d’un
interrogatoire comme le plus grand faussaire de l’histoire de la
police – Yannick P. intervient de temps en temps sur la base militaire
de Cercottes près d’Orléans. Un site où s’entraînent notamment les
membres du service action de la DGSE. Il est chargé de former les
militaires qui contrôlent les entrées à repérer d’éventuels faux
papiers que pourraient présenter des visiteurs.
En février 2020, il est contacté par un des militaires qu’il a eus en
stage. Un certain Pierre Bourdin. Ce caporal, affecté à la sécurité de
la base, lui annonce qu’il veut quitter l’armée, devenir
cyberdétective avant de se lancer un jour en politique. Intrigué,
Yannick P. accepte un rendez-vous sur un parking de Melun. Pierre
Bourdin lui aurait alors parlé d’un petit groupe qu’il a formé,
composé des membres des forces spéciales. "Des durs à cuire." Un
commando prêt à l’action pour des contrats privés. Bourdin lui aurait
proposé de s’y associer pour des missions. L’une porterait sur un
audit de sécurité pour un client russe dans le sud de la France. Une
autre, plus délicate, consisterait à recouvrer une créance pour une
société espagnole lésée de neuf millions d’euros lors d’une
transaction d’armes entre des Bosniens et des Saoudiens.
Le garde-barrière de la DGSE se vante aussi de pouvoir acheter des
armes de guerre dans les pays de l’Est. Yannick P. en discute avec
Sébastien Leroy. Intéressé par l’achat de pistolets automatiques,
Leroy demande à Yannick P. de lui présenter le caporal Bourdin. Le
courant passe immédiatement. Leroy aurait alors confié à Yannick P.
que ces militaires pourraient traiter une de ses missions homo :
l’exécution d’une femme travaillant pour le Mossad.
La coach du Mossad
La suite fera les gros titres de la presse. Début août 2020, Le
Parisien - Aujourd'hui en France révèle l’arrestation d’un commando à
Créteil, qui s'apprêtait apparemment à tuer une cheffe d’entreprise,
Marie-Hélène Dini. Cette mère de famille doit peut-être la vie à un
riverain vigilant qui emmenait ce matin-là son enfant à la crèche. "Il
voit deux hommes dans une Clio avec une attitude un peu curieuse,
raconte Jean-William Vézinet, l’un des avocats de Marie-Hélène Dini.
Il refait le tour du pâté de maisons et s'aperçoit que les individus
feignent de dormir." Le passant appelle le commissariat. Les policiers
interviennent. Ils remarquent que la plaque d’immatriculation de la
Clio est branlante et tient par du scotch. Dans la voiture, les
policiers découvrent des couteaux militaires et un révolver. "L’arme
est chargée. Ils attendent ma cliente. Tout est fait pour lui tirer
dessus dès qu’elle arrive", estime maître Vézinet. Les munitions sont
chambrées, les deux hommes portent des bouchons d’oreille et semblent
avoir confectionné de manière artisanale un silencieux avec du coton
et des gourdes de compotes pour enfants…
Les deux hommes ne s’opposent pas à leur arrestation. Mais ils
racontent assez vite qu’ils sont membres des services secrets. Et
qu’ils étaient là en mission pour la DGSE. Leur cible, Marie-Hélène
Dini serait une espionne du Mossad représentant un danger pour les
intérêts de la France. Ils devaient l’éliminer. Les policiers sont
interloqués.
Lorsque la brigade criminelle frappe à la porte de Marie Hélène Dini,
"ils me disent que j’ai été victime d’une tentative d’homicide, nous
raconte la formatrice en coaching encore sous le choc. Immédiatement,
je pense que ce n’était pas pour moi." Pendant plus de quatre heures,
elle observe, sidérée, les enquêteurs fouiller de fond en comble son
appartement, "désosser" sa voiture et son scooter, à la recherche de
micros ou de documents sensibles… Marie-Hélène Dini n’est pourtant pas
une espionne au service des intérêts d’Israël, mais une "simple"
cheffe d’entreprise spécialisée dans la formation de coachs. La suite
de l’enquête révèlera que c’est à l’un de ses concurrents qu’elle
posait problème…
Marie-Hélène Dini, une formatrice de coachs, aurait été surveillée
pendant des mois. Elle devait être exécutée. (NICOLAS DEWIT / RADIO
FRANCE)
Marie-Hélène Dini, une formatrice de coachs, aurait été surveillée
pendant des mois. Elle devait être exécutée. (NICOLAS DEWIT / RADIO
FRANCE)
Reste qu’au lendemain des faits, les policiers de la crim’ n’ont sous
la main en garde à vue que ces deux jeunes hommes quasi mutiques qui
refusent de répondre aux questions "sans l’aval préalable de [leur]
hiérarchie". La DGSE est contactée. Pierre Bourdin alias "Dagomar" et
Carl Esnault dont le pseudo militaire est "Adelard" sont bien
rattachés à la base de Cercottes. Mais ils n’ont jamais été envoyés en
mission. Leur travail consiste à sécuriser le site où s’entraîne le
service action. Parfois, il leur arrive de servir de cibles aux agents
secrets pendant les exercices, mais rien de plus.
Pimenter la vie de planton
Ce commando a-t-il accepté un contrat en dehors de ses heures de
service pour pimenter un quotidien qui n’a rien du Bureau des légendes
? C’est une probabilité. En garde à vue, Pierre Bourdin raconte ses
journées à Cercottes : "Le métier de gardien est pénible. Vous êtes
là, 12 heures par jour, à regarder des écrans de contrôle, sans
téléphone, sans livre, sans rien, pendant une semaine, comme un
couillon. C’est un travail super frustrant." L’un de ses camarades de
chambre, entendu à son tour, partage ce sentiment. "La DGSE est une
bonne maison, mais on pense qu’on pourrait faire plus d’instruction et
de formation pour pouvoir prétendre à autre chose. On a souvent un
sentiment de frustration et le fait de rester trop longtemps à faire
ce travail peut rendre sénile", raconte le témoin.
Les enquêteurs découvrent que Pierre Bourdin discutait avec une
dizaine de militaires via l’application Signal. Il avait créé un
groupe baptisé "Task Force R", où le caporal proposait à ses camarades
des missions aussi incroyables qu’illégales. Ainsi, le 15 mars 2020,
il envoie ce message à ses camarades : "Bon, parlons tunes. Deux
petits trucs à faire. Traquer des dealers, histoire de financer notre
groupe. Ensuite débusquer des pédophiles. Est-ce que t’es chaud pour
taper du dealer ? Est-ce que t’es chaud pour remonter des pédophiles ?
Les pédophiles, c’est pour les voler. Les dealers, c’est aussi pour le
plaisir."
Sur la base, selon plusieurs témoins, le caporal parle aussi d’acheter
des armes de guerre en provenance des Balkans. "Il m’a dit qu’il avait
trouvé une pierre précieuse de plus de 11 kg. Il m’a proposé qu’on
aille la vendre pour 100 000 euros, en costard, escortés par la BRI
[la brigade de répression et d’intervention de la police judiciaire],
raconte aussi l’un de ses camarades de Cercottes en audition. Cette
pierre devait être vendue à des émirs. Nous aurions fait la sécurité
au Carlton ou au Hilton. Bien sûr, ça n’est jamais arrivé…" Selon ce
militaire, Pierre Bourdin était connu pour affabuler. "La dernière
chose qu’il m’a proposée, c’est d’aller braquer un transport de
cocaïne entre Paris et Orléans. Il parlait de plein de choses, de
couper des cigarettes, de maquiller des voitures volées..." "Et
d’assassiner des personnes ?", demandent les policiers. "Oui", répond
le témoin.
Une pseudo "mission homo"
Un autre agent relate une discussion au poste de garde de Cercottes :
"Pierre me demande : 'Est-ce que ça te tente une mission homo ?' Je
lui ai répondu : 'Tu es complètement fou.' Il m’a dit : 'Même pour de
l’argent, tu refuses ?' Je lui ai demandé de ne pas mêler nos jeunes à
ses histoires. Comme Brutus, qui n’avait même pas terminé sa formation
militaire…" Le jeune au pseudo de Brutus se retrouvera tout de même
embarqué dans cette histoire. Devant les enquêteurs, il reconnaît
avoir mené une mission de reconnaissance devant le domicile de la
coach Marie-Hélène Dini à Créteil. Pour cela, il aurait touché 200
euros. Dans les locaux de la crim’, "Brutus" fond en larmes. "Vous me
faites remarquer que je gâche ma vie et ma carrière pour 200 euros.
C’est vrai."
Un autre militaire accepte aussi de participer à une mission de
surveillance devant chez Marie-Hélène Dini. "Je savais que c’était
pour le contrat homo, je ne vais pas vous mentir, assume-t-il devant
les enquêteurs. Je me suis dit que ça allait être marrant et que ça
n’engageait à rien." Sauf que les plans ce jour-là ont bien failli
changer. Le militaire poursuit son récit : "Pierre m’a dit : 'Ouais,
gros, ce qu’on peut faire aussi si elle sort, je la pousse et toi tu
l’écrases avec la voiture.' Quand il m’a demandé de l’écraser, j’ai
compris qu’il voulait que je fasse le sale boulot à sa place."
Des "brainstormings" pour savoir comment tuer leur victime "
"Avant qu’il vous dise de l’écraser, vous saviez déjà qu’il voulait la
tuer ?", lui demandent les policiers. Le militaire répond par
l’affirmative. "J’avais entendu plein de trucs. Carl voulait la tuer à
coups de poing. Après ils voulaient lui tirer dessus. Ou ils pouvaient
l’enlever et la jeter d’un pont. Pierre parlait aussi de mettre de
l’explosif sous sa voiture. Ou de l’empoisonner."
Au domicile de Pierre Bourdin, les enquêteurs auraient en effet trouvé
des documents relatifs à la fabrication de poison. Interrogé, le
suspect ne nie rien à ce sujet sur procès-verbal : "L’idée c’était de
pouvoir avoir un poison gazeux, pour le claquer par terre dans une
voiture et empoisonner comme ça Madame Dini, en la bloquant dans le
véhicule avec le poison. Ce n’était qu’un effort de réflexion (...)
C’était un travail intellectuel. Il y a vraiment eu des brainstormings
sur cette de question de comment on s’y prendrait pour la
neutraliser."
La hiérarchie de la DGSE sur le gril
Pierre Bourdin était-il conscient des risques encourus ? Sur la base
militaire, il parle de sa "mission homo" à beaucoup de monde. Et il
n’hésite pas à montrer une enveloppe qu’il garde sur lui contenant 15
000 euros en espèces. Une avance pour le meurtre de la coach, selon
l’enquête. "J’ai croisé le caporal-chef C., il était au courant que
Pierre se baladait sur la base avec les 15 000 euros, raconte "Brutus"
lors d’une audition. Pour quelque chose qui devait rester secret, on
s’est rendu compte que beaucoup de monde était au courant !"
Les policiers de la crim’ pressent alors les camarades de Bourdin de
questions. Pourquoi ne pas avoir alerté leur hiérarchie ? Comment
laisser un homme se vantant de tels actes avec une arme sur lui ?
Comment la DGSE a-t-elle pu conserver dans ses rangs un effectif au
profil jugé par les enquêteurs si inquiétant ?
Convoquée par la PJ, la directrice des opérations, numéro trois de la
base de Cercottes, admet que Pierre Bourdin posait problème. Il était
jugé immature et n’avait pas la confiance de ses chefs,
raconte-t-elle. Sa hiérarchie lui avait d’ailleurs récemment interdit
de participer à une cérémonie à la mémoire des morts de la DGSE, au
siège du service, boulevard Mortier à Paris. "L’idée, c’était même de
s’en débarrasser", reconnaît cette colonelle.
Un troisième "frère" mis en cause
En garde à vue, Pierre Bourdin conteste tout projet criminel ou
crapuleux. L’élimination de Marie-Hélène Dini lui avait été présentée
par Sébastien Leroy comme une mission dans l’intérêt de la Nation,
soi-disant validée par "la direction générale", autrement dit : la
DGSE. Mais l’enquête a permis d’établir qu’au-dessus de Leroy se
trouvait en fait le duo Vaglio/Beaulieu. Et qu’il aurait agi à la
demande de Jean-Luc Bagur.
L’homme est un chef d’entreprise, membre lui aussi de la loge Athanor.
Il aurait d’abord demandé à son ami Frédéric Vaglio de l’aider à
régler des problèmes au sein de l’entreprise de coaching qu’il
dirigeait. Il est en conflit avec son associée et la sœur de celle-ci.
Il chercherait à leur faire quitter la société. Un jour, raconte leur
avocat, Jean-Luc Bagur serait arrivé au bureau avec un carton chargé
de munitions. Les deux sœurs prennent peur. Elles se sentent suivies,
espionnées, et déposent une main courante.
Dans la nuit du 15 au 16 avril 2019, l’une d’elles doit quitter
précipitamment sa maison, avec ses enfants en bas âge sous le bras. Sa
voiture a été incendiée. Le feu est en train de se propager à son
pavillon de banlieue parisienne. Sébastien Leroy avouera à la PJ avoir
été missionné pour cela.
En avril 2019, la voiture de l’une des employées de JeanLuc Bagur est
incendiée. (NICOLAS DEWIT / RADIO FRANCE)
En avril 2019, la voiture de l’une des employées de JeanLuc Bagur est
incendiée. (NICOLAS DEWIT / RADIO FRANCE)
Jean-Luc Bagur aurait aussi demandé à son ami Frédéric Vaglio de
contrer les actions de Marie-Hélène Dini, l’une de ses concurrentes
coachs. Elle a créé un syndicat afin de mieux réglementer la
profession. Bagur craint de perdre des clients. Il estime que
Marie-Hélène Dini cherche à "niveler la profession vers le bas".
Il entame alors avec Stéphanie Chupin, la compagne de Vaglio, une
campagne intense de lobbying auprès du ministère du Travail et de
l’organisme France compétences chargé de la certification des
diplômes. Stéphanie Chupin fait jouer ses contacts. Depuis sa boîte
mail du Conseil d’État, son ancien patron, Henri Plagnol écrit au
directeur de France compétences afin que Jean-Luc Bagur obtienne un
rendez-vous. Le courriel que nous avons consulté est signé "Henri
Plagnol, ancien ministre". Contacté par la cellule investigation de
Radio France, l’ancien maire de Saint-Maur-des-Fossés affirme ne pas
avoir été rémunéré pour cela. Julien Dray lui aussi est intervenu dans
ce dossier. Il aurait reçu 5 000 euros selon les déclarations des mis
en cause. Mais au téléphone, le socialiste a refusé de répondre à nos
questions, estimant que "cela ne [n]ous regardait pas".
"Secouer mémère"
En 2019, Jean-Luc Bagur aurait aussi demandé à Frédéric Vaglio
d’obtenir des renseignements sur les démarches entreprises par sa
concurrente Marie-Hélène Dini. "Il était question de récupérer des
documents ou de pirater des fichiers, explique-t-il lors d’une
audition le 30 janvier 2021. Frédéric m’annonce que l’équipe a
récupéré l'ordinateur de Marie-Hélène Dini et qu'elle a, selon ses
dires, 'secoué Mémère'..." Bagur assure que ce n’était pas le contrat
mais admet qu’il n’a "pas protesté plus que ça".
Marie-Hélène Dini se souvient très bien de ce jour où on lui a volé
son sac. Elle a dans le même temps été passée à tabac. Là encore,
Sébastien Leroy aurait été missionné pour cela. Ce jour-là, la cheffe
d’entreprise perd connaissance et n'entend pas la mise en garde de ses
agresseurs. Elle continue ses activités professionnelles sans se
douter qu’elle est en danger.
Et cela agace Jean-Luc Bagur. Lors d’un déjeuner à Lyon avec Frédéric
Vaglio, il lui demande si les choses ne peuvent pas aller plus loin.
"Il pouvait régler mon problème mais il fallait pour cela qu’il
emploie les grands moyens, raconte le formateur de coachs pendant sa
garde à vue. Il m’a demandé à plusieurs reprises si je comprenais bien
ce que cela voulait dire et ce que cela impliquait. Je lui ai dit oui,
à deux reprises." Ce jour-là, pour 75 000 euros, prix que Jean-Luc
Bagur aurait tenté de négocier, Marie-Hélène Dini s’est retrouvée avec
un contrat sur la tête.
Un syndicaliste dans le viseur
Dans ce dossier, les enquêteurs vont de surprise en surprise. Ils
découvrent aussi que si le commando de la DGSE n’avait pas été arrêté
en juillet 2020, une autre opération d’élimination aurait pu avoir
lieu. Depuis des mois en effet, un délégué CGT employé dans une
entreprise de plasturgie à Oyonnax dans l’Ain, faisait l’objet
d’intenses surveillances.
Lors d’une visite aux patrons de cette entreprise, Vaglio leur aurait
proposé un contrat. "La patronne m’a dit : 'On a un gars qui n’arrête
pas de nous emmerder mais c’est quelqu’un qu’on ne peut pas virer', a
raconté l’ancien journaliste lors d’une audition le 28 janvier 2021.
Elle me dit : 'Parfois, j’aimerais bien lui casser la gueule',
poursuit-il. Son mari a renchéri sur le sujet. Ça s’est fini par : 'Si
on ne l’avait plus, qu’est-ce que ce serait bien.' Je leur ai dit que
c’était des choses qui pouvaient exister."
Ce délégué CGT employé dans une entreprise de plasturgie à Oyonnax
dans l’Ain faisait l’objet d’intenses surveillances. (NICOLAS
DEWIT / RADIO FRANCE)
Selon les déclarations de Frédéric Vaglio, le couple aurait réfléchi
deux à trois semaines avant d’accepter la proposition. "Je pense que
j’ai dû prendre environ 10 000 ou 15 000 euros pour ça, raconte le
membre de la loge Athanor. Beaulieu a demandé 50 000." Tout était donc
prêt pour le passage à l’acte. "Mais en juillet, quand il y a eu
l’affaire de Madame Dini, j’ai dit : 'On arrête !'", lâche le
principal suspect devant les enquêteurs.
Douze personnes sont aujourd’hui mises en examen dans ce dossier
tentaculaire qui pourrait réserver d’autres surprises. Les enquêteurs
se demandent notamment s’ils ne vont pas découvrir des éléments en
lien avec l’exécution de Daniel Forestier. Lui aussi était en effet un
ex-agent de la DGSE. Et lui aussi a été abattu, il y a deux ans, sur
un parking près du lac d’Annecy.
Sollicités, les avocats de Frédéric Vaglio, de Jean-Luc Bagur, de
Sébastien Leroy, de Pierre Bourdin et de Stéphanie Chupin n’ont pas
souhaité s’exprimer sur cette affaire. Nous n’avons pas pu entrer en
contact avec le conseil actuel de Daniel Beaulieu. Et l’avocate de
Carl Esnault n’a pas donné suite à nos sollicitations.
¹ En mars 2021, Henri Plagnol et son ancienne directrice de cabinet
ont été condamnés à des peines de prison avec sursis à l’issue d’un
procès en appel pour complicité de détournements de fonds publics
: des tueurs à gage en lien avec les renseignements devaient tuer
un syndicaliste, une cheffe d'entreprise écrouée
Murielle Millet, directrice générale de la société Apnyl, située à
Izernore dans l'Ain, est soupçonnée d'avoir commandité l'assassinat
d'un syndicaliste jugé "gênant". Elle a été interpellée et incarcérée
à Paris.
Publié le 21/05/2021 à 14h56
Mis à jour le 21/05/2021 à 22h01
Izernore - Ain
La commune d'Izernore, dans l'Ain, siège de la société Apnyl. • © France 3
Ain Bourg-en-Bresse
Des tueurs à gages, des agents des services secrets, des
francs-maçons, des chefs d'entreprises... le casting est digne d'un
polar, mais il a failli coûter la vie à un délégué syndical d'une
entreprise de la Plastics Vallée, près d'Oyonnax. La directrice
générale de la société dans laquelle travaille cet homme, aurait
commandité son assassinat. Elle vient d'être écrouée après une enquête
menée par la brigade criminelle de Paris.
Le syndicaliste ne serait pas le seul à avoir eu un contrat sur sa tête.
Un syndicaliste jugé ''gênant"
Le représentant de la CGT qui travaille dans l'entreprise de plastique
Apnyl, à l'entrée d'Izernore, aurait été dans le viseur de tueurs à
gages dès 2018. Il devait soit être neutralisé, soit être éliminé
contre 75 000 euros.
La directrice générale de cette entreprise spécialisée dans les pièces
techniques en plastiques est Murielle Millet. C’est elle qui aurait
commandité cet assassinat. Elle a été mise en examen, tout comme son
mari, pour association de malfaiteurs dans le but de commettre un
meurtre. Le couple a été interpellé et incarcéré à Paris selon nos
confrères de RTL. Le couple dément être impliqué.
Interview de la cheffe d'entreprise d'Izernore, le 15 mars 2021. Elle
disait ne pas comprendre que l'on veuille s'en prendre à l'un de ses
salariés
Une enquête tentaculaire au casting étonnant et détonnant
L'enquête a été confiée à la brigade criminelle de Paris, l'élite de
la police, car elle ne concerne pas que l'affaire d'Izernore. Elle
révèle l'implication de tueurs à gages, d'agents du renseignement, de
politiques et de francs-maçons de la loge Athanor, dissoute en février
dernier.
Ce sont deux membres de la Loge Athanor qui ont incriminé Murielle
Millet, la cheffe d’entreprise.
Le premier c’est Daniel Beaulieu, un ancien commandant de police de la
DGSI, Direction générale du renseignement intérieur.
Le deuxième, c’est Frédéric Vaglio, son ''frère maçonnique'',
''vénérable'' au sein de la Loge, ex-journaliste et communicant.
Les deux hommes se sont connus au sein de la loge maçonnique Athanor
située à Puteaux, en région parisienne.
Tous deux sont poursuivis pour complicité de tentative de meurtre en
bande organisée, participation à une association de malfaiteurs et
complicité de vol avec violences, et ont été incarcérés.
Un procès-verbal glaçant
En janvier 2020, Frédéric Vaglio se serait rendu dans l'Ain pour
visiter l'usine Apnyl de Murielle Millet et de son mari. Lors de la
visite, Murielle Millet aurait dit à Frédéric Vaglio, en parlant du
délégué syndical Hassan T. ''On a un mec qui n'arrête pas de nous
emmerder et qu'on ne peut pas virer. Parfois j'aimerais bien lui
casser la gueule, qu'est-ce qu'il peut nous embêter''.
C'est ce que Frédéric Vaglio déclare aux enquêteurs dans le
procès-verbal. Il leur affirme en avoir informé Daniel Beaulieu.
''Après quinze jours de réflexion, poursuit-il, le couple était ok
pour faire quelque chose''. Le montant du contrat est fixé à 75 000
euros.
Mais en juillet 2020, le contrat est arrêté. L'un des tueurs à gage
contracte le covid et, à des centaines de kilomètres de là, un autre
contrat échoue in extremis, celui de Marie-Hélène Dini, coach en
entreprise.
Tout comme le syndicalite Hassan T., Marie-Hélène Dini échappe elle
aussi à la mort.
Une arrestation en juillet 2020 à Créteil a permis à l’enquête dans
l'Ain d’avancer
En juillet 2020, deux agents de la DGSE, Direction générale de la
sécurité extérieure, étaient en planque, devant le domicile d’une
coach en entreprise, Marie-Hélène Dini. Leur mission : la tuer. La
tentative d’assassinat a échoué in extremis grâce au signalement d’un
riverain intrigué par le comportement étrange des deux hommes. Les
deux militaires sont âgés de 28 et 25 ans et étaient affectés au
centre parachutiste d’entraînement de Saran, dans le Loiret. Le centre
dépend de la DGSE, Direction générale de la sécurité extérieure.
Le commanditaire présumé de l’assassinat Marie-Hélène Dini est un
coach, lui aussi. Il s’agit de Jean-Luc Bagur. C’est un concurrent de
Marie-Hélène Dini. Cette dernière envisageait de créer un syndicat
pour encadrer les pratiques de la profession. Jean-Luc Bagur craignait
de ne pas être labellisé et donc de perdre de l’argent. Il a été mis
en examen pour complicité de destruction de biens appartenant à autrui
et acquisition et détention d'arme de catégorie A et écroué.
La loge maçonnique Athanor est le dénominateur commun
L’athanor, selon la définition du Larousse est ''un fourneau dans
lequel les alchimistes placent le récipient qui contient la matière de
la pierre philosophale''.
Cette pierre qui permet de changer les métaux en argent ou en or, de
guérir les maladies ou encore de prolonger la vie humaine...La
philosophie de certains membres (''frères'') de la loge maçonnique
Athanor, serait au contraire, d’éliminer les personnes jugées gênantes
au profit des intérêts des ''frères'' maçonniques. Le leitmotiv
ressemble davantage à des réglements de comptes et résonne comme un
réseau criminel.
Des membres d'Athanor mettent en oeuvre des contrats de tueurs
A sa retraite, Daniel Beaulieu, un ancien commandant de la direction
du renseignement intérieur crée, en 2009, une petite société
d'intelligence économique.
Il est membre de la loge maçonnique Athanor depuis une vingtaine d'années.
En 2019, il est approché par le responsable de la loge également
responsable d'une société de sécurité privée, pour recruter des hommes
de main et mettre en œuvre des contrats de tueurs. Une dizaine de
"contrats" de tueurs auraient été envisagés.
C’est la tentative d’assassinat de Marie-Hélène Dini, coach en
entreprise qui a mis en lumière Athanor, loge maçonnique.
En son sein, selon plusieurs sources concordantes, d’anciens
fonctionnaires de la DGSE, direction générale de la sécurité
extérieure, d’anciens policiers ou encore d’anciens journalistes se
côtoient.
En février 2021, la Grande Loge Nationale Française fait un
communiqué. Selon elle, ''les registres de la Grande Loge Nationale
Française ne mentionne aucune Loge ''Athanor'' sur le territoire
métropolitain. Tous les Maçons de la Grande Loge Nationale Française
sont indignés poursuit le communiqué, et dénoncent des agissements qui
sont à l’opposé des principes de la Franc-maçonnerie''.
En février 2021, la Loge Athanor est dissoute.
Plusieurs cibles dans le collimateur de la sombre officine
La coach d’entreprise Marie-Héléne Dini, le syndicaliste dans une
entreprise de plasturgie dans l'Ain, Hassan T. n'étaient pas les
seules cibles à abattre.
Mais, en 2018, un contrat avait été honoré. Il s'agit du meurtre de
Laurent Pasquali, pilote de rallye amateur. Un couple de médecins
avait investi 200 000 euros dans l'écurie du pilote. Ce dernier
n’aurait pas honoré ses dettes de sponsoring. Son corps a été retrouvé
fin 2019, en Haute-Loire, à 500 kilomètres de son domicile, enterré
dans une forêt.
Les différentes perquisitions ont également relancé l’enquête sur la
tuerie de Chevaline. Le 5 septembre 2012, trois membres de la famille
Al-Hilli, des citoyens britanniques d'origine irakienne, et un
cycliste savoyard, Sylvain Mollier, avaient été assassinés sur un
parking sur les hauteurs du lac d'Annecy en Haute-Savoie.