Cet animal est un expert de la régénération
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L’ascidie, ce curieux petit invertébré marin en forme d’outre, a la faculté de renouveler ses tissus très rapidement après de graves lésions. L’étude de ce mécanisme biologique, encore rare, pourrait se révéler précieuse pour la médecine régénérative.
À tel point que leur corps, presque entièrement détruit par un de leur rare prédateur ou par le manque de nourriture, peut se reconstruire complètement en quelques jours quand le danger ou la pénurie sont passés. Dès lors, ces invertébrés, aux formes souples et onduleuses qui enchantent par leurs couleurs et leurs symétries, ne se contentent pas seulement d’orner le fond des mers et d’y faire « tapisserie » : ils intéressent au plus haut point les biologistes qui rêvent de s’inspirer de leurs étonnantes propriétés.
C’est un modèle fascinant : les ascidies coloniales disposent de plusieurs voies pour construire un même corps.
« Les recherches sur les ascidies pourraient avoir des répercussions importantes pour la médecine régénérative, souligne Stefano Tiozzo, responsable d’une des sept équipes du Laboratoire de biologie du développement de Villefranche-sur-mer.
Depuis sa thèse, ce jeune chercheur se passionne pour ces singulières « marguerites de mer ». Même s’il préfère rester modeste sur la portée à court terme de ses recherches, la biologie régénérative des ascidies pourrait bien devenir un modèle pour cette branche de la médecine qui vise à soigner nos tissus malades ou endommagés en régénérant nos propres cellules. Cette nouvelle thérapie nous éviterait le recours parfois délicat à la greffe de tissus ou d’organes étrangers. C’est d’ailleurs dans le cadre des mécanismes de reconnaissance du « soi » et du « non-soi », qui jouent un rôle clé dans le rejet de greffes chez les êtres humains, que des chercheurs en immunologie s’étaient déjà intéressés aux ascidies à la fin des années 1990.
Certes, les ascidies ne sont pas les seuls animaux dotés de tels pouvoirs de régénération : l’axolotl et sa cousine la salamandre ont eu davantage les honneurs de la presse ces dernières années. Mais, par leur plus grande facilité d’étude en laboratoire ainsi que leur large diversité – environ 3 000 espèces recensées à ce jour –, elles sont des candidates toutes désignées pour explorer en détail ces mécanismes.
« Surtout, c’est un modèle fascinant car à la différence de beaucoup d’autres animaux, et notamment des vertébrés, les ascidies coloniales disposent de plusieurs voies pour construire un même corps », s’enthousiasme le chercheur.
Autant de voies de régénération que son équipe aimerait justement percer à jour en se penchant plus particulièrement sur un groupe d’espèces proche du botrylle étoilé (Botryllus schlosseri), une espèce d’ascidie très répandue sur le littoral méditerranéen.
Fait remarquable, quand il choisit la forme « communautaire », chaque animal donne du sien : « Dans une forme coloniale, les individus se solidarisent en une seule et même tunique parcourue par un réseau de vaisseaux sanguins qui connecte tous les membres de la colonie. Puis la colonie s’étend de proche en proche par propagation végétative : dès lors, chaque nouvel individu est en réalité un clone de l’organisme fondateur », explique Stefano Tiozzo.
Or ce mode de reproduction asexuée – qui ne fait intervenir qu’un seul individu – est en général « lié à un pouvoir de régénération très haut », précise Stefano Tiozzo. « Chez les métazoaires, cette faculté de se régénérer est présente dans différentes espèces, mais pas toujours avec la même puissance », poursuit-il.
Chez les ascidies coloniales, et en particulier le botrylle étoilé, la puissance de régénération couplée à la diversité de ses manifestations est donc une piste précieuse.
Ces efforts se concentrent aujourd’hui sur l’acquisition de connaissances fondamentales sur le botrylle étoilé et ses espèces voisines. Avec, en premier lieu, le « manuel » de base de toute biologie moléculaire, à savoir le génome.
Le laboratoire prévoit ainsi de séquencer, en plus du génome du botrylle étoilé déjà disponible, les génomes de deux espèces coloniales et d’une espèce solitaire. En tirant parti de la proximité génétique de ces espèces dont le pouvoir de régénération diffère, l’équipe espère ainsi jouer sur ces petites différences entre leurs « catalogues de gènes » afin de révéler les bases génétiques de la régénération. « Il n’y a toutefois pas de "gènes de la régénération" à proprement parler, nuance le chercheur, mais plutôt une orchestration moléculaire complexe à laquelle participent différents pupitres : les gènes en sont un, au même titre que les régions régulatrices, les modifications épigénétiques ou encore l’environnement. »
Une orchestration cellulaire subtile que l’équipe étudie également grâce à des études mesurant et comparant les niveaux d’expression des gènes entre différentes conditions. Cette approche a déjà fait ses preuves dans le laboratoire puisqu’elle a récemment permis à l’équipe d’isoler des réseaux de gènes qui se comportent différemment chez le botrylle étoilé en fonction du mode de reproduction.
Autant de réponses à venir qui pourraient aussi éclairer les mécanismes évolutifs qui ont privé une grande partie des animaux, dont les êtres humains, de ces incroyables capacités. À la différence du héros de fiction Wolverine, dont les pouvoirs extravagants résultent d’une simple mutation génétique, il en faudrait davantage pour que ces capacités enviables nous soient transférées telles quelles : « Il n’y a pas une clé de voute magique de la régénération qui serait conservée chez toutes les espèces et qu’il suffirait de réactiver », tient à préciser Stefano Tiozzo.
Que celles et ceux qui se rêvaient déjà en futur X-men ne se désolent pas pour autant : en plus de leur apport attendu en médecine régénérative, ces recherches pourraient éclairer certains processus à l’œuvre dans les maladies dégénératives et le vieillissement. Et tout cela grâce à ces petits animaux marins, qui s’étaient jusque-là tenus bien loin des projecteurs. À l’exception toutefois du regard voyageur de l’écrivain John Steinbeck qui, Dans la mer de Cortez, leur dédiait cette maxime énigmatique : « Je suis plus que la somme de mes cellules, et pour ce que je sais, elles sont davantage que la division de moi-même. »
Frédéric BERGER
Depuis sa thèse, ce jeune chercheur se passionne pour ces singulières « marguerites de mer ». Même s’il préfère rester modeste sur la portée à court terme de ses recherches, la biologie régénérative des ascidies pourrait bien devenir un modèle pour cette branche de la médecine qui vise à soigner nos tissus malades ou endommagés en régénérant nos propres cellules. Cette nouvelle thérapie nous éviterait le recours parfois délicat à la greffe de tissus ou d’organes étrangers. C’est d’ailleurs dans le cadre des mécanismes de reconnaissance du « soi » et du « non-soi », qui jouent un rôle clé dans le rejet de greffes chez les êtres humains, que des chercheurs en immunologie s’étaient déjà intéressés aux ascidies à la fin des années 1990.
Certes, les ascidies ne sont pas les seuls animaux dotés de tels pouvoirs de régénération : l’axolotl et sa cousine la salamandre ont eu davantage les honneurs de la presse ces dernières années. Mais, par leur plus grande facilité d’étude en laboratoire ainsi que leur large diversité – environ 3 000 espèces recensées à ce jour –, elles sont des candidates toutes désignées pour explorer en détail ces mécanismes.
« Surtout, c’est un modèle fascinant car à la différence de beaucoup d’autres animaux, et notamment des vertébrés, les ascidies coloniales disposent de plusieurs voies pour construire un même corps », s’enthousiasme le chercheur.
Autant de voies de régénération que son équipe aimerait justement percer à jour en se penchant plus particulièrement sur un groupe d’espèces proche du botrylle étoilé (Botryllus schlosseri), une espèce d’ascidie très répandue sur le littoral méditerranéen.
La régénération ou la fabrique du même
Pour isoler la clé du pouvoir de régénération, les chercheurs ont décidé de comparer les ascidies selon leurs différents modes de vie. « Elles peuvent en effet être soit solitaires, soit sociales ou coloniales » explique le chercheur.Fait remarquable, quand il choisit la forme « communautaire », chaque animal donne du sien : « Dans une forme coloniale, les individus se solidarisent en une seule et même tunique parcourue par un réseau de vaisseaux sanguins qui connecte tous les membres de la colonie. Puis la colonie s’étend de proche en proche par propagation végétative : dès lors, chaque nouvel individu est en réalité un clone de l’organisme fondateur », explique Stefano Tiozzo.
Or ce mode de reproduction asexuée – qui ne fait intervenir qu’un seul individu – est en général « lié à un pouvoir de régénération très haut », précise Stefano Tiozzo. « Chez les métazoaires, cette faculté de se régénérer est présente dans différentes espèces, mais pas toujours avec la même puissance », poursuit-il.
Chez les ascidies coloniales, et en particulier le botrylle étoilé, la puissance de régénération couplée à la diversité de ses manifestations est donc une piste précieuse.
À la recherche des clés de la régénération
Il s’agit donc d’observer les différents cas de figure : « Les ascidies solitaires ne se reproduisent que de manière sexuée et montrent alors des capacités à se régénérer moins élevées que les espèces coloniales », indique notamment Stefano Tiozzo. Reste à analyser ces différences le plus finement possible avec les nouveaux outils d’imagerie cellulaire et de la biologie moléculaire tels le séquençage haut débit et la transgénèse. « Développer ces outils nous demande beaucoup de travail car nous partons de presque rien : ces organismes restent très peu étudiés », constate le chercheur qui a recensé à ce jour moins d’une dizaine d’équipes dans le monde impliquées dans la biologie régénérative des ascidies coloniales.Ces efforts se concentrent aujourd’hui sur l’acquisition de connaissances fondamentales sur le botrylle étoilé et ses espèces voisines. Avec, en premier lieu, le « manuel » de base de toute biologie moléculaire, à savoir le génome.
Le laboratoire prévoit ainsi de séquencer, en plus du génome du botrylle étoilé déjà disponible, les génomes de deux espèces coloniales et d’une espèce solitaire. En tirant parti de la proximité génétique de ces espèces dont le pouvoir de régénération diffère, l’équipe espère ainsi jouer sur ces petites différences entre leurs « catalogues de gènes » afin de révéler les bases génétiques de la régénération. « Il n’y a toutefois pas de "gènes de la régénération" à proprement parler, nuance le chercheur, mais plutôt une orchestration moléculaire complexe à laquelle participent différents pupitres : les gènes en sont un, au même titre que les régions régulatrices, les modifications épigénétiques ou encore l’environnement. »
Une orchestration cellulaire subtile que l’équipe étudie également grâce à des études mesurant et comparant les niveaux d’expression des gènes entre différentes conditions. Cette approche a déjà fait ses preuves dans le laboratoire puisqu’elle a récemment permis à l’équipe d’isoler des réseaux de gènes qui se comportent différemment chez le botrylle étoilé en fonction du mode de reproduction.
Il n’y a pas une clé de voûte magique de la régénération qui serait conservée chez toutes les espèces.
En parallèle, ces nouveaux outils expérimentaux appliqués au botrylle étoilé et à ses comparses pourraient conduire à une meilleure compréhension des mécanismes de production des cellules souches, ces cellules « mères » capables de redonner vie à toute forme de cellules et à partir desquelles un organe voire un organisme complet peut être reconstitué. Ce sont ces mêmes cellules souches qui, chez les ascidies, interviennent dans la reproduction asexuée et dans la régénération.
Pour le moment, Stefano Tiozzo et son équipe essaient avant tout de comprendre l’origine de ces cellules souches chez le botrylle étoilé : préexistent-elles déjà un peu partout dans l’organisme, ou proviennent-elles de cellules spécialisées en mesure de se reprogrammer ?
Pour le moment, Stefano Tiozzo et son équipe essaient avant tout de comprendre l’origine de ces cellules souches chez le botrylle étoilé : préexistent-elles déjà un peu partout dans l’organisme, ou proviennent-elles de cellules spécialisées en mesure de se reprogrammer ?
Que celles et ceux qui se rêvaient déjà en futur X-men ne se désolent pas pour autant : en plus de leur apport attendu en médecine régénérative, ces recherches pourraient éclairer certains processus à l’œuvre dans les maladies dégénératives et le vieillissement. Et tout cela grâce à ces petits animaux marins, qui s’étaient jusque-là tenus bien loin des projecteurs. À l’exception toutefois du regard voyageur de l’écrivain John Steinbeck qui, Dans la mer de Cortez, leur dédiait cette maxime énigmatique : « Je suis plus que la somme de mes cellules, et pour ce que je sais, elles sont davantage que la division de moi-même. »
Frédéric BERGER