Alexandre Grothendieck, considéré comme l’un des plus grands mathématiciens du XXe siècle, vient de décéder à l’âge de 86 ans. Né à Berlin en 1928, apatride puis naturalisé français en 1971, il vivait secrètement retiré du monde depuis le début des années 90 dans un village de l’Ariège. Lauréat de la médaille Fields en 1966, ce mathématicien mythique et hors norme a laissé une trace durable et considérable dans toutes les recherches mathématiques qu’il a abordées. « C'est une triste nouvelle. On savait qu'il avait coupé les ponts avec sa communauté et notamment l'Institut des hautes études scientifiques (IHES) qui avait quasiment été construit pour lui. L'appellation galvaudée de "génie" peut vraiment être utilisée dans son cas », estime Alain Fuchs, président du CNRS.
Né dans une famille pour le moins atypique - son père, russe et de confession juive est un photographe militant et anarchiste, sa mère également très engagée, est journaliste -, il connaît une enfance chaotique. Très jeune, il est séparé de ses parents qui s’engagent aux côtés des républicains en Espagne. Alexandre les retrouve au printemps 39. Très vite, son père est arrêté puis envoyé à Auschwitz où il meurt assassiné en 1942. Lui-même sera interné avec sa mère dans un camp de concentration près de Mende (Lozère). Réchappé du génocide, il commence en 1944 à étudier les mathématiques à l’université de Montpellier où il est recommandé à deux grands mathématiciens Laurent Schwartz et Jean Dieudonné. L’histoire raconte que les deux maîtres lui présentent alors une liste de 14 grands problèmes mathématiques à résoudre, et lui recommandent d’en choisir un. Quelques mois plus tard, il a tout résolu.
Une créativité extraordinaire
C’est dans les années 50 qu’il commence à travailler pour le CNRS, avant de quitter la France pour des séjours à l’étranger en tant que professeur invité. En 1958, il intègre l’IHES, imaginé spécialement pour lui par l’industriel Léon Motchane sur le modèle de celui de Princeton. Entouré d’une multitude de talents internationaux, il y conçoit notamment une nouvelle vision de la géométrie algébrique. Selon Christoph Sorger, directeur de l’Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions du CNRS, un de ses grands apports est d’avoir refondé la géométrie algébrique. En créant le langage des schémas, il a fusionné la géométrie et la théorie des nombres algébrique. « Cela a permis, précise-t-il, d'introduire l'intuition géométrique, essentielle dans beaucoup de raisonnements mathématiques, dans le domaine de la théorie des nombres où on n'en avait pas a priori. Ce changement de point de vue a été radical et d'une créativité extraordinaire. Il a profondément modifié la manière avec laquelle nous voyons ce domaine maintenant, et notamment permis à son élève Pierre Deligne de démontrer les conjectures de Weil, puis au mathématicien allemand Gerd Faltings de démontrer la conjecture de Mordell, résultats pour lesquels tous les deux ont eu également la médaille Fields par la suite ».
Sa carrière exceptionnelle de mathématicien est jalonnée d'une série de prises de position radicales, comme son refus de se rendre en URSS pour y recevoir sa médaille Fields en 1966 ou son départ précipité de l’IHES en 1970 pour protester contre le financement partiel de ce dernier par le ministère de la Défense. A partir de cette époque, il s’éloigne de la communauté scientifique pour épouser la cause écologique et pacifiste. Il terminera néanmoins sa carrière en tant que professeur à l'Université de Montpellier puis au CNRS de 1984 à 1988, et se retirera définitivement au début des années 90 dans son village des Pyrénées.
A lire, son portrait détaillé paru sur le site Images des maths :
http://images.math.cnrs.fr/Alexandre-Grothendieck.html