BREVE: Des notables impliqués dans l'industrie de la pédopornographie
Lidia Cacho est une journaliste comme il en existe trop peu. Cette Mexicaine a choisi un sujet sensible : la pédopornographie et la traite des femmes et des filles. Elle a, en plus, désigné les coupables. Cela lui a valu de goûter à la torture dans une prison locale.
« Le monde assiste à une recrudescence des réseaux qui pratiquent l’enlèvement, la vente et l’exploitation des femmes et des petites filles : ces mêmes phénomènes qui, en théorie, devaient éradiquer l’esclavage l’ont en fait renforcé », écrit-elle dès l’introduction de son livre traduit en français « Trafic de femmes : enquête sur l’esclavage sexuel dans le monde ».
Et d’ajouter : « cette culture, qui encourage la chosification des êtres humains, se fait passer pour libérale et progressiste ». C’est bien là le piège : combien d’adolescentes pensent que le seul moyen d’être valorisées est de ressembler à une actrice X. La culture machiste dans laquelle on baigne, même si c’est un peu moins fort en France qu’au Mexique ou au fin fond du Congo, normalise cette utilisation mercantile et sexuelle des plus faibles, les femmes et les enfants.
Et de rappeler qu’aucun gros contrat ne se négocie sans recours à la prostitution, qu’il s‘agisse des ventes d’armes ou de la vente de drogue.
Dans ce livre, Cacho montre comment le trafic de femmes, d’enfants, de drogue et d’armes est lié. On constate par exemple que le trafic de femmes n’a fait qu’augmenter en Irak et en Afghanistan après l’arrivée des mercenaires US et anglais.
On se souvient aussi des bordels géants et du marché aux esclaves à ciel ouvert, près du camp US Bondsteel, au Kosovo, pendant la guerre. De Pattaya, village côtier de Thaïlande transformé par les GI en énorme bordel, où on vend aussi bien des mineurs que des femmes aux touristes de passage. On pourrait continuer cette liste pour toutes les guerres, puisqu’en temps de guerre, il faut que les soldats aient le moral.
Cacho parle de fillettes enlevées dans des orphelinats en Roumanie, pour échouer dans des maisons closes en Turquie[1], où nombre de riches occidentaux viennent satisfaire leur libido (notamment des Norvégiens et des Suédois, où les clients de prostituées sont poursuivis). Des réseaux, des mafias, les font venir et leur fournissent de faux papiers.
Elle parle de la Palestine, largement occupée par les israéliens et totalement sous contrôle, où des ONG dénoncent l’augmentation des enlèvements de jeunes, à des fins d’exploitation sexuelle ou même de vente d’organes.
Le réseau de la jet set
Fin 2003, Lidia Cacho, qui dirigeait un refuge pour femmes victimes de violences à Cancun (le CIAM), accueillait deux gamines disant avoir été violées par un hôtelier appelé Jean Succar, depuis leurs 8 et 9 ans. C’est en remontant le fil de cette affaire de Lidia Cacho est tombée sur un réseau de pédophiles puissants et très bien organisés. Tellement qu’ils sont encore impunis aujourd’hui, et que c’est Cahco qui a du quitter le pays en 2012.
Il faut préciser que Cancun est une ville créer de toutes pièces il y a une trentaine d’années, pour devenir une station balnéaire géante à destination des touristes US[2]. Il y a énormément de gros hôtels, et beaucoup de gens venus des campagnes pour y travailler.
Cacho a donc enquêté sur Succar, ce qui l’a amenée au Brésil, au Venezuela et même en Espagne, où son réseau de pédopornographie avait des ramifications. Succar se rendait aussi régulièrement en Californie, à Los Angeles, à Las Vegas, à Hong Kong… Une fois qu’il avait des gamines sous sa coupe, il les forçait à lui en ramener d’autres. Ou bien, il allait carrément les chercher, par exemple au Salvador, pour les amener dans un autre pays, comme les USA. A Cancun, où il est arrivée au milieu des années 80, il était ami avec un fonctionnaire responsable des douanes à l’aéroport de Cancun, puis a été ami avec un directeur de l’aéroport de Mexico. Parmi ses proches, il y avait aussi Alexandro Gongora, responsable de l’office des migrations à Cancun.
Son truc, c’était de filmer des relations sexuelles entre enfants et entre enfants et adultes, et de les diffuser contre monnaie sonnante et trébuchante. Il existe même une vidéo où on le voit pendant que des enfants ont des relations sexuelles. D’ailleurs, quand la femme de Succar a fait sortir cette vidéo, il a été lâché par ses avocats.
Plusieurs vidéos pédopornographiques réalisées par Succar ont été saisies lors de l'enquête, et montraient des jeunes de moins de 13 ans dans des "rapports sexuels" avec Succar. Certaines ont été tournées dans des villas de l'hôtel Solymar.
Selon Lidia Cacho et les anciens avocats de Succar, il serait au cœur d’un réseau international de pédopornographie et de trafic d’enfants, très bien implanté dans la plupart des états du Mexique, et aurait fait à lui seul plus d’une centaine de victimes. Selon le DIF, une institution publique chargée de la protection des familles, plus de 18.000 enfants seraient concernés par le réseau Succar à travers le monde. Mais attention : ce ne serait que le deuxième dans le pays, après un autre basé dans la région de Tijuana, à la frontière US. C’est dans cette ville de maquiladoras gigantesques qu’un véritable « féminicide », comme le disent les mexicains, est en cours depuis près de 20 ans. Et ce réseau aurait sous sa coupe autour de 250.000 mineurs. Ces réseau exploitent ces mineurs et diffusent de la pédopornographie, qui rapporte beaucoup d’argent. Parfois, les gamins sont payés, parfois non.
Dans l’affaire Succar aussi, certaines victimes se sont miraculeusement rétractées[3], puis ont reconfirmé les faits qu’elles avaient dénoncés. Quant à Lidia Cacho, elle a été suivie par des types, a reçu immédiatement des menaces et a du prendre ses précautions.
Suite à la publication en 2004 de « Los demonios del Eden », qui reprend cette enquête, Cacho a été poursuivie par le roi du textile Kamel Nacif[4], qu’elle avait dénoncé. Elle a été arrêtée illégalement par Mario Marin, le gouverneur de l’Etat ultra corrompu de Puebla[5], et envoyée illégalement en prison où elle a subi des simulacres de mise à mort. Peu après, la presse a diffusé une conversation téléphonique entre Marin et Nacif, au cours de laquelle ils s’organisaient justement pour la faire arrêter, et la faire violer pourquoi pas.
Et les enfants de Succar, aujourd'hui, parlent de complot contre les intérêts familiaux, qui a pour but de les spolier de toutes les richesses de leur père. Ils devraient peut-être se rappeler de la manière par laquelle Succar a constitué son empire, avant de jouer les vierges effarouchées.
Les connexions
Nacif, qui possède un agenda mondain des plus fournis et compte parmi les businessmen les plus en vue du pays, trainerait aussi dans le trafic de drogue et d’armes, et bien-sûr le blanchiment d’argent[6]. Il faut savoir qu’au Mexique, les entrepreneurs, les politiciens et la mafia sont souvent les mêmes personnes, notamment dans la région de Cancun où les scandales de corruption se succèdent au même rythme que les fusillades et les meurtres divers et variés.
Nacif possède un véritable empire du textile avec des succursales à Hong Kong et aux Etats-Unis. Il collaborait avec une famille française puissante, les Guez, propriétaire de la marque Sasson Jeans dans les années 80. Parmi ses proches, il y a les ex présidents Ernesto Zedillo (1994-2000) et Vicente Fox (de 2000 à 2006), élus grâce à des élections truquées, et dont il a financé les campagnes bien qu’ils soient de deux partis différents. Fox s’est par exemple bien gardé d’embêter Marin lors de l’arrestation illégale de Lidia Cacho. En outre, Nacif a poursuivi Cacho pour diffamation, mais heureusement il a perdu.
Nacif est également proche de moult gouverneurs d’Etats, dont Marin à Puebla, où Nacif possède des maqiuiladoras, et aussi de Vicente Fox, le président en exercice au moment où le scandale a éclaté. En échange, ces politiques l’aident à construire ses usines et à obtenir des subventions et autres déductions fiscales, tout en fermant les yeux sur les malversations et autres délits.
Kamel Nacif et Jean Succar faisaient partie du même réseau. L’une de leurs victimes a expliqué que Succar se mettait en relation avec des mineurs aux USA pour les procurer à ses amis, dont Nacif, qui serait donc un amateur d’enfants.
Certains faits se sont donc produits dans l’hôtel Solymar, propriété Succar à Cancun, saisie par les autorités en 2012. Lui a été arrêté en Arizona en 2004 et devait être extradé au Mexique (pour, entre autres, du blanchiment d’argent). Kuri est aussi amateur d’adolescentes : il a rencontré sa femme quand elle avait 15 ans.
Il passait la moitié du mois à Cancun, l’autre moitié à Hong-Kong, Las Vegas, en Californie… Toutefois, comme au vatican, la majorité sexuelle (hétérosexuelle) est fixée à 12 ans.
Dans ce petit monde, tout le monde se connait, et tout le monde se file des coups de main. On constate, comme chez nous dans l’affaire Baudis, celle de Sucy-en-Brie ou celle des disparues de l’Yonne, que toute la classe politique et le monde du business ont défendu leur congénère. Kamel Nacif est encore défendu bec et ongles, même si ce n’est heureusement plus le cas pour Succar.
En 2008, une déléguée des droits de l'homme de l'ONU est venue faire le point au mexique au sujet des réseaux de pédopornographie. Elle a constaté que les victimes n'avaient pas accès à la justice, que les médias étaient tenus par des proches du pouvoir, que les assassinats de journalistes continuent sans entraves.
Dans un tel contexte, le même qu'en france où on se targue d'expliquer la "démocratie" aux autres, on comprend que l'impunité est de mise. Et que Succar sera certainement le seul à porter le chapeau, car il est le plus grillé. Cette déléguée a aussi compris de Kamel Nacif protégeait Succar
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Aujourd’hui, Lidia Cacho a du quitter le Mexique. Elle a subi de nouvelles menaces, des tentatives de meurtre, un emprisonnement inique, et les autorités semblaient incapables de la protéger efficacement malgré une protection policière.
D’un autre côté, le Mexique semble avoir un peu sévi : en 2011, Jean Succar, a été condamné à 112 ans de prison pour abus sur mineurs et pédopornographie[7], ce qui était sans précédent. Succar a été condamné suite à la dénonciation de Lidia Cacho dans son livre, en 2005. Mais apparemment il a servi de fusible, car il est le seul à avoir été condamné parmi tous les politiciens et entrepreneurs cités. Et les choses n’ont pas été simples : Succar était protégé par Nacif, et il y a eu de fortes pressions pour que Succar ne soit pas extradé des Etats-Unis.
Quant aux victimes, la plupart ont bien compris qu’il valait mieux se taire. Celles qui ont parlé ont été fortement malmenées par la « « « justice » » », de manière assez visible pour que le message passe à toutes les autres.
[1] Au sujet de la Turquie, Lydia Cacho évoque une vieille maquerelle née en 1914 dans une famille aristocrate, appelée Matilde Manukyan. Devenue veuve, elle a mis en place de nombreux bordels légaux dans le pays, et a même eu les honneurs de l’Etat turc en 1995, pour avoir été la contribuable ayant payé le plus d’impôts. Puis, de nouvelles mafias sont arrivées, Matilde a échappé à un attentat à la bombe, et soudain en 1996 on s’aperçoit publiquement qu’elle faisait aussi travailler des mineurs issus du trafic international d’enfants. Là, les notables qui étaient ses amis et protecteurs l’ont lâchée, et Matilde s’est convertie à l’islam. Elle est morte en 2001 sans jamais avoir été poursuivie par la Justice. D’après une femme qui a été exploitée encore mineure chez Manukyan, « les policiers et les hommes politiques étaient les meilleurs clients. Ils aimaient tant la patronne qu’ils envoyaient leurs infirmières pour nous soigner. Nous étions réputées pour être les prostituées les plus obéissantes et les plus saines du pays ».
[2] La ville est passée de 70.000 habitants en 1982, à plus d’un million en 1988.
[3] Suite à diverses menaces et agressions par des hommes à la solde de Succar, comme ce fut le cas pour Edith Encalada et sa sœur Estefanía.
[4] En 1993, Nacif a été arrêté à Las Vegas, sur demande des autorités mexicaines, pour évasion fiscale.
[5] Marin a vite été blanchi pour cette affaire, la cour suprême estimant qu’il n’y avait pas eu de « violation grave des garanties individuelles » de la journaliste.
[6] C’est du moins la justice du Nevada qui le disait en 2000.
[7] Il est en ce moment en train de chercher à réduire sa peine voir d’être acquitté. Il vient de gagner, grâce à un vice de forme totalement bénin, le fait que sa peine incompressible de 70 ans ait été supprimée. L’étape suivante sera, on le suppose, l’acquittement.