Lettre ouverte… à nos politiques… à la société civile
Israël – Palestine… « la paix est-elle possible » ?
La paix est-elle possible ? Slogan idéaliste ou réaliste ? Et si réaliste, réalisable ou utopiste ? Pourquoi cet article, alors que la Syrie ou l’Ukraine mobilise les médias du monde entier, laissant au second plan le douloureux et chronique conflit israélo-palestinien ? Pourquoi cet article alors que je ne suis ni analyste politique, ni militant, mais un chirurgien orthopédiste-traumatologue ayant mis mes compétences au service de la population palestinienne depuis 2002.
C’est sans aucun doute une goutte d’eau qui fit déborder un vase rempli, une anecdote récente qui pourrait passer pour anodine, mais lourde de symbole et qui m’attrista profondément, me poussant à écrire cet article. Un ami palestinien de Jénine, en Cisjordanie, s’inscrit à un congrès en France ayant lieu en novembre 2013. Il procède à son inscription en ligne et au moment de sélectionner son pays d’origine, le menu déroulant décline les Etats du monde, mais la Palestine n’apparaît pas. Il fait un choix, par défaut, celui de la Jordanie. Pendant toute la durée du congrès, son badge affichera ses nom et prénom et un pays d’emprunt. Cet homme, ce père de famille, ce citoyen du monde est apatride.
La Palestine existe-t-elle ?
Quelle leçon tirer de cette « anecdote »? Tout d’abord pour cet homme une grande humiliation, la poursuite d’une désillusion, non seulement à l’intérieur de son « pays » mais plus encore, à l’extérieur. La Palestine existe-telle ? Dans le cœur des uns, certainement, mais pas dans celui des autres, et en tous les cas, elle n’a pas de reconnaissance officielle universelle. Et lorsqu’Alain Gresh s’interroge : « De quoi la Palestine est-elle le nom », ne pose-t-il pas LA bonne question, la seule qui mérite d’être posée ? Souvent, le terme consacré, celui de « Territoires palestiniens » ou de « Territoires occupés » - jusque dans certains guides touristiques -, représente la dure réalité de terrain et indique implicitement qu’il existe un occupé et un occupant.
Un grand pas fut néanmoins franchi à l’ONU le 31 octobre 2011, lors de l’adhésion de la Palestine à l’UNESCO - l'Autorité palestinienne ayant présenté la candidature de Bethléem en Cisjordanie au patrimoine mondial. Mais les sanctions vis à vis de l’organisme et le vote des Etats-Unis et d’Israël contre cette adhésion prouvent les obstacles à la reconnaissance de la Palestine. Et pourtant, il s’agissait de l’éducation, des sciences et de la culture, ce qui n’était pas encore la reconnaissance d’un Etat palestinien.
La paix est-elle possible ?
Si la paix doit voir le jour, ce n’est que par la reconnaissance de deux Etats pour deux peuples souverains, vivant côte à côte, dans le respect mutuel des uns et des autres, dans la reconnaissance des uns et des autres. Selon le droit international, les Palestiniens ont le même droit à un Etat que les autres peuples de la région. Alors utopie ou réalité ? Entre les embrasements généralisés, les incendies et les foyers résiduels qui se succèdent depuis des décennies dans cette région du monde, l’espoir d’une paix réside pourtant dans les marques de coopération, synonymes d’apaisement, dans la mobilisation permanente de la communauté internationale, dans une prise de conscience des Palestiniens eux-mêmes et des Israéliens. Cette prise de conscience eu une réalité très récente loin de la Palestine, en Afrique du sud, car un autre combat pour la paix s’est ravivé avec la mort d’une icône internationale. Nelson Mandela, dont les hommages ont afflué du monde entier, écrivait, évoquant ses négociations avec le gouvernement sud-africain et ses demandes d’arrêter la violence, du temps de l’apartheid : « Je répondais que l’État était responsable de la violence et que c’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé, qui détermine la forme de la lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura pas d’autre choix que de répondre par la violence. Dans notre cas, ce n’était qu’une forme de légitime défense. » Mandela jugé, emprisonné et que l’on définissait de « terroriste » fut libéré de prison le 11 février 1990 par Frederik De Klerk, sans condition. L’un était noir, l’autre blanc, différence de couleur qui entretenait pourtant cet apartheid. De Klerk négocia avec lui, d’égal à égal, les premières élections multiraciales du pays. Tous deux reçurent en 1993 le prix Nobel de la paix. Concessions, prises de conscience et respect de l’autre ont œuvré pour cette réunification. Ce qui fut possible en Afrique du sud pourrait-il l’être au Proche-Orient ? Je l’appelle de mes vœux
. Y aura-t-il des femmes ou des hommes politiques, israéliens et palestiniens, ensemble suffisamment puissants, charismatiques et convaincus de pouvoir œuvrer en faveur de la paix, prêts à neutraliser par leurs efforts les extrémismes radicaux qui paralysent le processus enclenché, et prêts à reconnaître ensemble le droit à l'existence d'Israël et de l'Etat palestinien dans des frontières sûres, le partage de la terre entre les deux Etats, le partage de la souveraineté sur Jérusalem, enfin le retour des réfugiés palestiniens sur le territoire de l’État palestinien ? Je l’appelle de mes vœux. Idéalisme ou réalisme ? Et si réalisme, réalisable ou utopique ? Certains, dont Ziyad Clot, ex-négociateur palestinien, pensent qu’une solution pacifique à ce conflit ne peut plus passer que par un État unique au sein duquel Palestiniens et Israéliens devraient vivre ensemble. « Ce pays hybride, Israeltine, est d’ailleurs déjà là » .
Oui la paix est possible, grâce au soutien et à la mobilisation des citoyens de ce monde. La société civile, en s’emparant de ce vaste chantier, pourra avancer en faisant pression sur les « décideurs », mais aussi en accumulant, en multipliant les messages de paix voire d’unification. Alain Gresch, n’écrivait-il pas : « … le rôle de la société civile acquiert une importance nouvelle, car elle seule peut se mobiliser pour imposer la justice et l’égalité ».
Oui, la paix est possible et même souhaitable de « l’intérieur » par les hommes de volonté en Israël et en Palestine. Ils existent et ont pourtant bien existé ces hommes, ces lumières dans un ciel sombre. Ce passage d’un discours d’Itzhak Rabin en dit long sur la volonté de paix exprimée alors : « Je vous le dis sans fard, nous avons trouvé des partenaires pour la paix également parmi les Palestiniens : l’OLP, jadis notre ennemi, qui a cessé son activité terroriste. Sans partenaires prêts à œuvrer pour la paix, rien n’est possible. Nous exigerons qu’ils respectent leurs engagements envers la paix, comme nous respecterons les nôtres, afin de défaire le nœud le plus complexe, le plus long et le plus sensible du conflit israélo-arabe : le conflit israélo-palestinien… Mais la voie de la paix reste encore préférable à celle de la guerre. Je l’affirme en tant que militaire et ministre de la Défense, qui assiste trop souvent à la douleur des familles des soldats de Tsahal. Pour eux, pour nos enfants, et, dans mon cas, pour nos petits-enfants, je veux que ce gouvernement déploie toute son énergie et ses facultés en vue de promouvoir et établir une paix globale.… » Itzhak Rabin fut assassiné quelques instants après son discours, le 4 novembre 1995, par Yigal Amir, extrémiste de droite vigoureusement opposé au processus de paix enclenché.
Depuis les violences des années 2000, un statut quo a balayé les tentatives de paix. Un dialogue direct s’établira-t-il entre Mahmoud Abbas et Benyamin Netanyahou ? Pour l’heure, il n’a pas trouvé place, bien que le processus de paix ait été relancé depuis moins d’un an par l’intermédiaire de l’émissaire américain John Kerry, avec pour conséquence la libération à trois reprises de prisonniers palestiniens mais parallèlement la poursuite des constructions en Cisjordanie. Un processus de paix paraît clairement à réinventer.
C’est à cause de l’injustice faite au Palestiniens que je souhaite la paix et que je la crois possible, même primordiale pour libérer deux peuples victimes d’un emprisonnement mutuel : les palestiniens derrière des frontières de barbelé et de béton, les israéliens derrière le mur de leur suprématie. Ne nous y trompons pas, promouvoir la justice pour les palestiniens ne signifie pas promouvoir la haine contre Israël - l’amalgame est tellement facile - car nous n’avancerons que dans le respect des deux peuples.
Uri Avnery, écrivain et journaliste israélien, militant des droits des palestiniens et pacifiste convaincu, cofonda le Gush Shalom, mouvement israélien qui milite pour la paix et en vue de la création d'un État palestinien . Il déclara à l’occasion du discours d'acceptation du prix Nobel alternatif qui lui était décerné, le 9 décembre 2001 : « Notre rôle n'est qu'un petit rôle dans une lutte mondiale pour la paix, la justice et l'égalité entre les êtres humains et entre les nations, pour la préservation de notre planète. Tout cela peut se résumer en un mot, qui à la fois en hébreu et en arabe signifie pas seulement la paix, mais aussi l'intégrité, sécurité et bien-être : Shalom, Salam. »
Je me suis rendu dans ces « Territoires palestiniens », Gaza et la Cisjordanie, et m’y rends encore régulièrement, dans le cadre de mes missions de chirurgie humanitaire ; j’y ai vu guerre et désolation en 2002, et aujourd’hui, depuis fin 2008, un « statut quo », en fait un écran de fumée, des femmes et des hommes qui veulent sortir par le haut de cette situation, avec la fierté d’un peuple privé de mouvements, pourtant libéré par un farouche instinct de survie. De cette expérience, j’en ressors avec le souhait profondément ancré d’une paix entre ces deux peuples, pour que la Terre Sainte demeure cette lumière vers laquelle convergent les femmes et les hommes du monde entier, quelle que soit leur appartenance culturelle ou religieuse.
Osons nous indigner !
Indignez-vous, écrivait Stéphane Hessel ! Osons nous indigner, reprendrais-je ! Ayons, où que l’on soit, le pouvoir de nous indigner lorsqu’une cause nous paraît juste. Ce grand humaniste qui connut la guerre et le camp de Buchenwald, nous donna et nous enseigne des leçons de paix que nous devons porter, diffuser à la communauté internationale. Alors nous, les non-palestiniens, vivant dans la patrie de l’Egalité, de la Liberté – nous en fûmes privés en des temps d’occupation - et de la Fraternité, ne pourrions-nous pas, au nom de la justice pour un peuple apatride, reconnaître la Palestine ? Le combat pour une paix juste ne passera que par cette reconnaissance dont les médias, les politiques, ont le pouvoir de véhiculer et marteler le message. Reconnaissons aux palestiniens leur appartenance à la Palestine, quelle qu’en soient les frontières, et œuvrons ensemble pour une paix juste au proche Orient. A l’aube de fêter le centenaire de la Grande Guerre - l’une des trois guerres que connurent le France et l’Allemagne au XIX et XXe siècles -, actuellement loin dernière nous, continuez et continuons à nous indigner ouvertement.
Dominique Le Nen
Professeur des Universités – Chirurgien des Hôpitaux
1 - Alain Gresh. De quoi la Palestine est-elle le nom ? Ed. Les Liens qui Libèrent, 2010.
2 - Israel and the Palestinian Territories. Ed. Loney Planet (5th edition), 2007.
3 - Nelson Mandela. Un long chemin vers la liberté. Ed. Livre de poche, 1996, p. 647.
4 - Ziyad Clot. Il n’y aura pas d’Etat palestinien. Journal d’un négociateur en Palestine. Ed. Max Milo, 2010.
5 - Dominique Le Nen. De Gaza à Jénine, au cœur de la Palestine. Ed L’Harmattan, 2012, p. 12.
6 - Itzhak Rabin, David Ben Gourion, Yasser Arafat. Israël / Palestine. Ed. Points, 2010, p. 13-14.
7 - Uri Avnery, Chronique d'un pacifiste israélien pendant l'intifada, Ed. L'Harmattan, 2003.
8 - Stéphane Hessel. Indignez-vous. Indigène Editions, 2011.